Serge Bertocchi

Etat-Civil :

Formations :

Europa Quartet (1983-84), Septuor de Saxophones (1984-86), Sculptophonies (1990-91), Coltrane ForEver (1994-95), Yog3 (1998-99)

Enregistrements:

Torma-Galère asymétrique (1986), Yog3 (1999)

Sites Web:

http://www.myspace.com/sergebertocchi

http://www.myspace.com/xasax

PARCOURS MUSICAL

 

Comment est venu le goût pour la musique et le choix de la pratiquer à très haut niveau ?

Le hasard de départ s’est ensuite mué en nécessité. Entre des études scientifiques et musicales, j’ai opté pour la 2° solution, ayant la certitude qu’avec le saxophone j’avais une cause à défendre. Dans le domaine classique et institutionnel, particulièrement en France, je crois que cela reste le cas.

 

Quelles études musicales ?

Totalement classiques au départ et pendant longtemps. La voie traditionnelle : CNR de province (Grenoble), quelque temps en Région Parisienne puis Conservatoire de Paris dans la classe de Daniel Deffayet. Jusque là (20 ans), aucun contact direct avec le jazz, la variété, le rock, ou même la véritable musique contemporaine. Un univers bien calfeutré, bien protégé des influences extérieures, ne se référant qu’à lui-même et à ses propres valeurs, héritées de la tradition de Marcel Mule, sans remise en cause ni prospective. J’avoue m’y être senti à l’étroit, mais sans pouvoir me formuler pourquoi, faute de références.

 

Comment s'est fait le choix du ou des instruments pratiqués ?

J’ai choisi de me limiter exclusivement à la famille des saxophones, contrairement à Yochk’O qui est également clarinettiste, flûtiste, pianiste ... mais par contre je les pratique tous aujourd’hui (12 sax différents). D’abord l’alto parce qu’au CNSMDP et les examens des conservatoires, il était exclu de se présenter en jouant autre chose. Le baryton ensuite pour le quatuor Ars Gallica, formé avec 3 coreligionnaires du CNSMDP. Le soprano pour varier les tessitures ... J’en étais là lors de ma rencontre avec Yochk’O, avec un peu de ténor (il faut bien). J’ai ensuite fait l’acquisition d’un Tubax (sax contrebasse Eppelsheim), d’un Soprillo (sax piccolo), d’un sax C-melody, d’un soprano en ut , d’un basse Conn, d’un mezzo-soprano en fa, d’un sax midi ... sans compter le travail d’instruments vintage sur les répertoires correspondants ... Mon épouse trouve tout ceci bien encombrant !!

 

Influences,Modèles,Musiciens de chevet (classiques/ contemporains, jazz, rock ... ) :

Difficile de faire le tri !! Avec Yochk’O, je partage la passion de Béla Bartok, John Coltrane, Theolonious Monk, Marcel Mule, Eric Dolphy et la trilogie Viennoise Webern / Berg / Schönberg...

Mon panthéon personnel compte aussi Debussy, Bach, Schumann, Ives, Janacek, Zimmermann, Dallapiccola, Perrotin, Ravel, Gesualdo, Stravinsky, plus récemment Mozart, Haydn, Schubert, Satie, Scarlatti ....

Beaucoup de contemporains (je compte les personnes qui étaient vivants ces dernières années ou qui le sont encore) comme Ligeti, Aperghis, Sciarrrino, Donatoni, Cage, Xenakis, Scelsi, Takemitsu, Kagel, Stockhausen, Berio, Nono, Reich, Dufourt, Feldmann, Lachenmann, Bryars, Dutilleux, Carter ... que j’ai ou aurais pu rencontrer. Et les amis avec qui je travaille régulièrement : Marie-Hélène Fournier, Bruno Giner, Jacques Lejeune ...

En jazz, Albert Ayler, Evan Parker, François Corneloup, Anthony Braxton, Michael Brecker, Warne Marsh, Greg Osby, Daunik Lazro, Chick Corea, Ian Garbarek, Charlie Mingus, Jaco Pastorius, Bill Evans, Miles Davis, Jack Dejohnette, le Vienna Art Orchestra, l’Art Ensemble de Chicago, World Sax Quartet, Lennie Tristano ...

Pour le reste, c’est très divers et pas très construit : Björk, Hendrix, Magma, Art Zoyd, Zappa, les musiques extra-européennes des inuit aux pygmées aka, les traditions savantes de l’inde ou du Japon, la musique classique arabo-andalouse ...

 

Œuvres pour saxophones préférées :

Quartett op 22 de Webern, Légende de Schmitt, Sonate de Denisov, Crosswinds d’Aperghis, Aulodie de Mâche, XAS de Xenakis, Ballade de Frank Martin, Rasch de Donatoni, Rapsodie de Debussy, Giant steps de Coltrane, Hippogriffe III de Fournier, Quatuor de Dufourt, Lonely woman d’Ornette Coleman, Fragments gourmand de J. Lejeune, Canticum de Berio, Summertime par Albert Ayler, SOLO de Stockhausen, Konzertstück de Hindemith, Pagine de Sciarrino, Necessità de Netti, Tre pezzi de Scelsi,... et tout ce que je travaille sur le moment ...

 

 

INSTRUMENT

 

Votre approche des instruments que vous pratiquez

Toujours autour d’un projet musical particulier. Je suis avant tout interprète. Ma raison d’être est donc de trouver le véhicule sonore le plus adéquat à la transmission de la pensée du compositeur : j’adapte ma sonorité, mes modes de jeu et mon choix d’instrument(s) en fonction. La technique a un rôle important, mais pas central. Pour simplifier, je privilégie l’esthétique.

 

Leurs spécificités?

Je ne vais pas faire le tour de mes 11 à 15 saxophones pour expliquer pourquoi je suis musicien et pas collectionneur. C’est un peu la même réponse que précédemment .... chaque instrument, chaque bec est porteur d’une histoire propre et d’un potentiel d’imaginaire ... à l’interprète, au compositeur ou l’improvisateur de dégager le discours juste de cette matière en devenir.

 

Qu’est-ce qui vous fait progresser (travail en solo, à plusieurs, la simple écoute…)?

Tout çà, oui. Le travail technique individuel est essentiel à la construction de bases solides. La pratique de groupe est un stimulant ssentiel pour l’envie de jouer, l’écoute est un moyen d’accéder à la compréhension de ce que l’on souhaite faire. Mais finalement, c’est un peu un mélange de tout çà, additioné d’un peu de bon sens et d’analyse (volontaire ou intuitive) qui va donner l’éclair d’évidence, le sens de travail juste. Il y faut aussi une bonne dose de curiosité, le goût du travail artisanal bien fait, une pointe d’inconscience et beaucoup d’opiniâtreté pour venir à bout de ce qui est d’abord infaisable. J’ajouterai que le concert est essentiel pour mettre en oeuvre tout ce qu’on a élaboré précédemment sur le plan technique, analytique ou musical. Un concert vaut plusieurs répétitions.

 

 

YOCHK'O

 

Comment l'avez-vous rencontré ?

Le hasard là encore. Il cherchait un baryton pour former un quatuor avec Alain Bouhey ... j’étais un des rares jeunes musiciens à en avoir un (gagné en partie à un concours ) ... et j’ai été recruté dans l’Europa Quartet, pour un projet Script-Oral sur des musiques de Seffer et des textes de Bouhey. Je n’avais encore jamais été confronté au jazz, et n’avais aucune formation dans ce sens. J’ai d’ailleurs assez vite suivi des cours d’improvisation et d’arrangement avec Yochk’O, pour compléter les carences d’une formation vraiment trop académique.

 

Quelles sont les formations dans lesquelles vous avez joué avec lui (Septuor de saxophones, ...) et pendant combien de temps?

Après l’Europa quartet, il y a eu de Septuor de Saxophones, puis un quintette autour des Sculptophonies, puis Chromophonie, le Big Band Coltrane Forever, Le Big Band YOG, et des projets plus ponctuels. J’ai hélas raté l’occasion de la refondation du septuor de saxophones, car déjà engagé par ailleurs à ce moment là.

 

Pour chacune des formations, comment se montait le répertoire ?

En général, Yochk’O écrivait l’intégralité du répertoire puis contactait les musiciens. Il fonctionne beaucoup sur des coups de coeur, des idées de projets, puis développe une force de travail invraissemblable pour l’écriture du répertoire.

 

 

Y-a-t-il eu beaucoup de répétitions? Quelle en était l'ambiance ?

En général, il en fallait car l’écriture Sefferienne est assez virtuose. C’est d’ailleurs pourquoi il ne rechignait pas à faire appel à des musiciens classiques, mieux en mesure de lire ses partitions à ce moment là. Il a été un vecteur de brassage entre des musiciens de provenance très différente, je pense que nous sommes nombreux à l’en remercier.

 

Que vous a-t-il apporté en tant qu’être humain, en tant qu’instrumentiste, en tant que compositeur ?

Vaste sujet là encore. Yochk’O est une locomotive : on décide de monter ou d’attendre le train suivant, mais l’expérience est riche et généreuse avec lui. J’ai coutume de dire que si Jacques Net m’a appris à jouer du saxophone, le CNSMDP à être un solide concurrent pour les concours, Yochk’O m’a enseigné ce qu’était la musique. En travaillant puis en jouant avec lui, j’ai compris qu’on ne m’avait pas tout dit, qu’on m’avait amusé avec des aspects importants mais secondaires pour un musicien : propreté technique, solidité à toute épreuve tant mentale que rythmique ...

Avec lui, je découvrais qu’il existait un monde différent où l’énergie et la générosité prenaient le pas sur la sécurité ; c’est sur scène, en conditions réelles que se vérifiaient ses choix, et cela pour le bonheur du public !! Jusque là, la dimension “représentation” de la musique m’avait complètement échappé et rien ne m’y avait préparé.

Comme musicien, Yochk’O reste pour moi un modèle également : je n’ai jamais essayé (je crois) de copier son jeu ou sa sonorité, mais il m’a forcé à chercher à développer une largeur de son qui ne serait pas venue d’elle-même ... Mais aussi en étudiant avec lui les diverses possiblités offertes par l’improvisation et l’arrangement, je me suis découvert comme “créateur” potentiel : sa culture est très vaste et il sait s’adapter à chacun selon ses besoins.

Je pense que cette rencontre et celle à peu près simultanée de Georges Aperghis et du théâtre musical ont été pour moi fondatrices : il étéait possible de faire une musique sans concession à la facilité ou la frivolité, tout en réussissant à séduire et “emporter” son public.

 

Comment concilier l’approche écrite des œuvres auxquelles vous vous êtes frotté, et le côté plus libre de certains passages des œuvres de YS ?

Je pense que cette doble leçon (improvisation, théâtralisation du geste) m’a été salutaire et que je l’applique à chacune de mes prestations personnelles, quelles qu’en soit le domaine. Pour moi, il n’y a pas antinomie entre écriture et liberté. Quant à l’improvisation proprement dite, il s’agît d’une culture particulière qui doit elle aussi se construire. On commence par être débutant, quel que soit le niveau instrumental de départ. Ce qui est difficile à admettre, précisément quand ce niveau de départ est (ou semble) élevé. L’improvisation comporte des enseignements très importants pour un interprète, surtout quand elle est de forme peu conventionnelle et ouverte. La frontière est (peut-êtrre devrais je employer le passé : “était”) mince entre un certain jazz contemporain issu du free et la musique contemporaine non académique. Les matériaux sont semblables, rythmes et mélodies sont souvent complexes et ne cherchent pas seulement à charmer, tout comme l’harmonie. Reste la forme, qui peut souvent être plus élaborée dans les oeuvres écrites, mais là aussi des principes de destruction des conventions sont en oeuvre dans tous les domaines musicaux.

Pour répondre plus directement à la question, je dirais que le fait de travailler avec le compositeur (classique ou jazz) permet de désacraliser la partition : tout devient négociable jusqu’à un certain point, et on choisit presque toujours l’efficacité si elle s’oppose à l’idée. Cette démarche permet ensuite de reprendre des oeuvres écrites avec plus de liberté, en faisant des choix personnels sujets à discussion, éventuellement. Mais bien des chemins peuvent mener au même résultat. L’étude de la musique baroque, par exemple.

 

Quelle place laissait-il aux solistes?

J’ai eu la chance grâce à lui de côtoyer de musiciens d’un calibre exceptionnel au sein des orchestres : Henri Texier, Siegfried Kessler, Linley Marthe, Jean-Mi Truong, François Méchali, Sylvain Kassap, François Jeanneau, Stéphane Guillaume, Jean-Charles Richard, Erik Seva, Barry Altschul, Daniel Casimir, Philippe Legris, Michel Godard, Denis Leloup ... il était logique de leur laisser la part belle pour les impros. Yochk’O m’a parfois sollicité, mais je ne pense pas que j’étais prêt à ce moment là ...

Yochk’O a toujours beaucoup joué lui-même mais il pouvait aussi être un remarquable accompagnateur, poussant le solistes dans ses extrèmes retranchements ...

 

Des anecdotes particulières sur des concerts joués avec Yochk'o ? Sur les enregistrements que vous avez pu faire avec lui?

Il y avait toujours ces histoires avec les structures qui changent au dernier moment (en particulier dans les impros)... et où tout le monde est concentré à mort pour que l’orchestre arrive à repartir au bon moment. N’oublions pas que les orchestres étaient toujours composés de musiciens de cultures hétéroclites : des classiques comme moi, incapables de compter 32 mesures, des improvisateurs non lecteurs qui jouaient magnifiquement mais pas toujours la même chose ... la communication pouvait parfois être difficile et mener à de l’incompréhension. Par miracle, en général, tout s’est toujours bien passé.

Il y a aussi eu ce moment de répet difficile pour Coltrane Forever, où il fallait battre une mesure pour mettre l’orchestre en place sur la bande. Yochk’O battait un peu raide et on continuait à avoir du mal ... je me suis proposé de le faire à sa place et ... catastrophe, je n’entendais plus rien tout à coup ! C’était bien pire, et pas calé du tout ... je suis retourné penaud à ma place sous les rigolades retenues des camarades de pupitre ...

Evidemment, un des grands moments a été ce concert où Sigfried Kessler se versait un café au moment de prendre son chorus ... on a eu droit à un sketch mémorable entre Yochk’O et Segi. Je suis sûr que le public a cru qu’ils avaient répété. Ou bien suis-je le seul à ne pas savoir qu’ils avaient préparé le truc ....

 

Vos projets musicaux pour les périodes à venir

Une semaine de tournée au Canada, quelques concerts autour d’Amiens avec mon quartet “40 after JC - Hommage à John Coltrane”, poursuite d’une riche saison du quatuor de saxophones XASAX (qui nous a menés de Kazan à Salzbourg, Milan, Gènes, Tours, Brest, Boulogne ...) à Burgdorf (Suisse), puis en Allemagne. Un projet en région parisienne avec 2E2M autour d’une pièce de Sciarrino (que XASAX défend depuis plusieurs années). La sortie de notre CD consacré à Aperghis sous label autrichien KAIRO.

Avec l’ensemble Amiens Sax Project, une transcription des PLANETS de Gustav Holst pour 13 saxs, 2 claviers et 2 percussions (spectacle de danse) : 4 représentations.

Des collaborations avec les Musées d’Amiens, la Maison de l’Architecture de Picardie, mon cousin plasticien Davide Bertocchi, le studio Art Zoyd, le saxophoniste américain Vinny Golia, le pianiste et compositeur Denis Levaillant ... Des concerts avec mon nouveau trio “L’art dégénéré” avec Marc Drouhard et Fabrice Petit.

J’espère aussi terminer la copie d’une sonate de Yochk’O écrite pour moi (au Tubax) et mon épouse pianiste, et en faire la création complète. Plus les imprévus nombreux et passionnants, je l’espère.